Un meilleur départ pour des apprenants compétents par Hélène LARMOIRE

Une formation aseptisée

Formations, livres, articles nous parlent de l’importance de définir des objectifs à une formation.

Admettons qu’ils soient parfaits, SMART et qu’ils s’appuient sur la taxonomie de Bloom ou une autre.

Admettons que le reste de votre formation soit parfaitement orchestré que ce soit en présentiel, à distance, les 2, avec une part belle à la mise en pratique. Peut-être faites-vous une bonne partie des activités sans technologie ou à l’inverse avec tout ce qui « se fait de mieux » aujourd’hui en digital learning : contenus générés par l’apprenant, gamification, social learning, serious game, immersive learning, IA, etc.

Admettons que les apprenants réussissent votre formation.

J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : votre formation ne sera pas applicable sur le poste ou du moins de manière ténue !

 

Quel investissement pour ne pas constater des bénéfices probants sur le terrain !

Comment peut-on en arriver là ?

Pour des apprenants compétents en fin de formation, suffit-il de découper les compétences techniques des experts et des formateurs/intervenants, d’en extraire ce qui semble pour eux et nous important par rapport aux besoins du terrain et de les mettre en forme dans des activités toujours plus engageantes ? C’est une approche simpliste.

En effet, c’est comme cela que les apprenants acquièrent des savoirs et des connaissances mobilisés dans diverses situations. Une fois cumulés, une compétence est construite (compétence 1). Par effort personnel ou par aide du formateur, ils transfèrent dans cette formation (on espère toujours ?) aussi certains savoirs, acquis précédemment. Cela permet de construire une autre compétence (compétence 2). Néanmoins, tout ce processus se fait hors contexte puisqu’une formation se fait rarement sur le poste de travail. Et rarement aussi, on la conçoit à partir de personnes compétentes du métier, qui s’y emploient au quotidien de manière efficace et efficiente.

Ainsi, la compétence est réduite à un « savoir-agir » ou encore à un « savoir-mobiliser », comme si l’Homme était une machine évoluée qui sortirait de son chapeau (cerveau) ce dont il a besoin en fonction du contexte. [aparté] Le plein de compétences se retrouve d’ailleurs dans l’Approche Par Compétence (APC), qui est de plus en plus présente dans la formation professionnelle.

Ce qui revient tristement à dire que la formation ne représente alors qu’un espace d’entraînement pour les apprenants autour de savoirs à acquérir et à mobiliser. En sortie, on a un goût amer, de trop peu. C’est une conception qui se rapprocherait selon moi d’une vie entièrement passée dans un monde virtuel avec son avatar ou dans un monde prédictible. La formation ainsi proposée est une représentation plus ou moins lointaine de la « construction » d’une personne compétente.

Cette vision de la formation pose notamment 2 problèmes :
1) l’apprentissage ne se réduit pas qu’au cerveau et à la cognition (l’acquisition de connaissances) ; tout le corps participe ;
2) « produire » des personnes pas compétentes qui ont des difficultés à mobiliser de manière pertinente, des compétences ainsi acquises, dans le quotidien, en situation (situations multiples dans un poste qui plus est) et en temps réel.

Je voyais bien le 2e problème, sans pouvoir y mettre des explications claires et des solutions en face pour concevoir de meilleures formations. Mais j’occultais complètement le 1er : cette vision holistique de l’apprenant. Pourtant, j’incluais déjà depuis quelques années dans mes formations une vision déjà plus globale, moins commune, avec des aspects de préparation mentale et de prise de parole en public pour ne donner que l’exemple d’une formation souvent faite sur la création d’entreprise. Finalement, ma vision était encore incomplète.

Il m’a fallu une publication de Domenico Masciotra puis son livre (cf référence en bas de l’article) pour cerner ces problèmes et mon propre chemin jusqu’ici. Une sacrée prise de conscience qui m’a à la fois attristée (« Mais que fait-on depuis tant d’années !?») et remplie d’espoir.

Voilà qu’était lancé depuis mi-2021 le début de ma quête pour faire encore mieux.

Les 2 briques manquantes

Ce qui s’est passé ensuite dans mon cerveau : « Super ! Eh bien, c’est parti. Je n’ai qu’à appliquer la méthode proposée. Voilà LA solution ! »

Je cherche la méthode. Je la trouve (méthode ASCAR), mais me heurte à 2 termes : l’approche énactive et le concept de PAS. Je vais les expliquer. Je suis passée à côté sans faire réellement attention à eux. Mais j’ai vite compris que tant que je ne les connais pas – j’entends par là un savoir intégré, compris -, la méthode n’aurait pas de sens. Ce qui me conduirait à stagner dans la recherche de l’excellence pour construire de meilleures formations.

 

 

Ma quête s’est donc poursuivie par un détour, vers ce chemin que je ne soupçonnais pas, à la découverte de ces 2 termes.

Sur le chemin, je vois une brique sale qui n’a pas de rapport avec l’environnement. Je la ramasse, la frotte et je lis « énaction ». À ce moment-là, tout le savoir sur l’énaction m’emplit le corps et l’esprit.

Je comprends que l’énaction peut être rattachée aux 5 théories de l’apprentissage : cognitivisme, le behaviorisme, constructivisme, socioconstructivisme et connectivisme.

Elle considère l’être humain comme une unité, sans séparation entre le corps et l’esprit, entre soi et l’environnement.

 

De ce fait, l’apprentissage, par exemple, ne se fait pas seulement par le cerveau, mais avec le corps tout entier, vivant, avec sa propre histoire et ses propres référentiels, ancré dans son environnement.
J’entends la voix de Domenico Masciotra ajouter : « Les compétences ne sont potentielles que dans le cerveau et le corps est une marionnette manipulée par les compétences cérébrales. »
La personne agit, réagit dans son quotidien de façon pertinente et cohérente. Elle peut en comprendre les aspects théoriques ; et inversement, aller de la théorie vers la pratique. [aparté] On peut dire en cela que l’AFEST (Action de Formation En Situation de Travail) est une modalité énactive.
Demain, la personne aura déjà évolué ; son apprentissage en sera influencé.

À peine ai-je ouvert les yeux que je vois une 2de brique. Je la ramasse et je lis PAS. Et c’est reparti…
Finalement, cette vision globale de l’humain qui apprend permet d’introduire le concept de Personne-en-Action-en-Situation réelle (PAS) : la personne vit dans l’action (penser, agir, s’émouvoir, etc.) et se développe aussi par son action (et « développe » son monde).

Pas facile de prendre un exemple en particulier pour illustrer ce concept, car ils sont tous particuliers et font appel à des circonstances uniques. Je peux vous parler de ce jour où au volant, jeune conductrice, j’ai décidé de rouler sur le trottoir plutôt que de doubler sur la chaussée le camion stationné dans une voie étroite à sens unique. Pour m’en sortir, j’ai eu besoin, dans le même temps, de me disposer (tempérer ma colère, ma montée de stress pour revenir à l’instant présent), de me situer (analyse de la situation : le camion va-t-il partir ?, largeur du passage entre lui et le trottoir), de me positionner (évaluation des solutions) et de transformer (j’ai mis mon clignotant et je suis montée sur le trottoir au pas). Ce sont 4 fonctions essentielles pour illustrer le concept de PAS.

En résumé :
Autre approche → l’apprenant possède un portefeuille de compétences peu fonctionnelles
Approche énactive + concept PAS → personne compétente.

De retour à moi. « Waouh ! Cela fait beaucoup d’un coup. »
La forêt s’ouvre en 2, me laissant un passage. Je continue mon chemin et j’arrive à proximité du château : la méthode ASCAR.

Le château

La méthode ASCAR est une méthode énactive liée à l’enseignement et à la formation (Masciotra et Morel, 2011). Elle permet au travers de son organigramme ASCAR, de concevoir, faire de la re-ingénierie d’une formation existante, effectuer le suivi-évaluation d’un apprenant, construire un référentiel de compétences, etc.

Si j’en reviens au début de l’article avec le déroulement d’une formation parfaite, l’organigramme ASCAR viendrait juste avant la définition des objectifs lors de la conception de la formation. Il permet alors de dégager la ou les compétences clés de votre formation qui vous permettront de définir de manière plus pertinente vos objectifs. Il permet de dresser une photo de ce que fait une personne compétente (sortie de formation) à différents points de vue (colonnes) dans tel ou tel métier par exemple.

Mais quel chemin emprunter dans le château dans ce dédale d’escaliers et de couloirs ?

Lisez la publication de Domenico Masciotra avec l’exemple de la conduite automobile (cf. lien en fin d’article).

Choisissez votre sujet et reproduisez la matrice/organigramme ASCAR qui comporte 5 colonnes : Actions, Situations, Connaissances, Attitudes et Ressources. Tiens ! Voilà d’où vient l’acronyme ASCAR. L’organigramme reflète bien l’énaction et le concept de PAS (Personne-en-Action-en-Situation) en prenant la personne dans sa globalité.

Et ensuite posez à un expert ou posez-vous les questions vous permettant de lister les éléments suivants :

1) Les actions que fait une personne compétente (ex : conserver une trajectoire, freiner). Elles peuvent être regroupées en catégorie (ex : conduire).

2) Les situations qu’une personne compétente rencontre et qu’elle produit par son action. Ex : conduite par temps de neige

3) Les connaissances nécessaires (données ou qui peuvent se développer au travers de la pratique). Ex : le comportement d’un véhicule et les organes de contrôle du véhicule sur des terrains glissants.

4) Les attitudes (et leur intensité) qui permettent une maîtrise de soi au travers d’une action. Ex : calme, maîtrise de sa respiration.

5) Les ressources technologiques et sociales (incluant celles documentaires). Ex : dispositif antipatinage

Une fois l’organigramme satisfaisant à vos yeux, vous allez prendre de la hauteur pour déterminer une ou des compétences. Une façon de faire pourrait être d’obtenir une compétence par catégorie d’actions. Ex : Conduire.

Mais souvenez-vous, la compétence doit englober l’ensemble des colonnes : action, situation, connaissance, attitude, ressource. Pour cela et parce que vous avez besoin de penser l’organisation de votre formation autour d’objectifs, d’un déroulé et d’activités, vous aurez besoin de l’exprimer sous forme de composante. Exemple de compétence-composante tirée de la publication : «… le chauffeur doit pouvoir conduire avec compétence, c’est-à-dire opérer en connaisseur et en maîtrise de lui-même en tout temps afin de pouvoir manœuvrer efficacement son auto et partager la route de façon sécuritaire et responsable avec les autres usagers. »

Voilà un chemin sûr pour « rendre » une personne compétente qui remplira ses fonctions dans son travail de manière performante (efficace et efficiente). En sortie de formation, l’apprenant ne sera déjà plus un novice avec un agir novice : il adoptera un agir compétent. Il lui faudra continuer dans cette démarche pour développer un agir performant voire expert.

Suite de votre quête

À partir de là, vous reconnaissez le chemin : vous définissez les objectifs de votre formation à partir de la ou des compétences.

Eh oui ! Le chemin est encore long et semé d’embûches avant d’atteindre le trésor tant convoité : les retombées positives de votre formation dans le quotidien des apprenants et par là, dans les organisations.

Pour avoir mis en pratique cette méthode à quelques reprises, j’ai fait des constats :
• elle m’a permis encore mieux de sélectionner le plus important pour les apprenants ;
• elle permet d’avoir une meilleure grille d’évaluation pour une mesure des compétences post-formation ;
• elle s’associe bien avec le processus d’action mapping de Cathy Moore ;
• elle supporte au moins les modèles de gestion de projet ADDIE et SAM (nv. 1) ;
• la matrice ASCAR permet d’avoir d’avance des idées de contenus supplémentaires pertinents pour des extensions à votre formation.

Conclusion

Vous découvrez l’énaction et la méthode ASCAR seulement aujourd’hui alors que vous avez déjà tant conçu, créé, etc. Je n’ai que 11 mois d’avance sur vous et je suis loin de la connaître, de la maîtriser et d’évaluer l’impact qu’elle a sur l’amélioration des résultats sur le terrain, post-formation. Je remercie l’heureux hasard de me les avoirs mises sur mon chemin quand je me demandais comment rendre les apprenants plus compétents en formation.

Je ne vous ai traduit ici que ma compréhension. C’est pour cela que j’espère vous avoir donné envie d’aller creuser le sujet avec des experts. Je vous recommande particulièrement ces publications :
– Masciotra. La compétence : entre le savoir agir et l’agir réel. Perspective de l’énaction 2017 (exemple traité : la natation)
– Masciotra. La compétence ASCAR : une démarche de conceptualisation et d’identification des compétences dans la perspective de l’énaction 2015 (exemple traité : la conduite)
– Guy Le Boterf (pionnier de l’APC). Agir en professionnel compétent et avec éthique. Halte au « tout compétences » 2017
– Masciotra. Développer un agir connaisseur, théorie et méthode. De l’approche par compétences à une approche de l’énaction 2022 Éditions Ascar Inc.

 

Hélène LARMOIRE
Formatrice-Consultante